Mais
de quoi vous mêlez-vous?
Pour
une fois, exactement de ce qui me regarde … de mon quotidien !
Madame Lederer postule dans
la théorie interprétative de la traduction trois phases : compréhension du
message en langue d’arrivée, dé-verbalisation ou évanescence des sons du
message, et ré-expression en langue d’arrivée. Je n’ai pas d’objection à ces
explications du processus de traduction que j’admire et que je mets en pratique
au quotidien. En outre, je suis tout à fait d’accord avec les objectifs de séparation
des langues de départ et d’arrivée, afin d’éviter toute contamination ou
interférence entre les deux langues.
Ce que je souhaite, c’est
introduire une variable dite parasitaire (« spurious » en anglais), en
occurrence l’inclusion de la notion de contact
langagier dans la conceptualisation des langues et du discours en question. Un contact tant au départ du processus de
traduction dans la langue d’arrivée, qu’à la sortie dans la langue cible, et
qu’aucune dé-verbalisation ne saurait oblitérer ni rendre caduc à un moment
donné, pour des raisons supplémentaires, principalement diachroniques, mais
aussi socio-culturelles.
Je m’explique, schéma à l’appui !
La notion de contact langagier est empruntée à Weinreich (1967) dont l’œuvre
est consacrée à l’étude et à la description des langues en contact, principalement
aux frontières de la Suisse. Son œuvre
sert ainsi ultérieurement de fondation théorique aux études d’autres langues hybridées,
créoles et patois, dans d’autres contextes de contact langagier, historique, économique,
voire naturel, au sein d’une famille par
exemple.
Le contact
langagier tel que le décrit Weinreich se manifeste sous forme d’interférence à
divers niveaux du langage: phonétique, syntactique, sémantique et discursif et s’exprime selon
divers modes de communication écrits et oraux/auditifs, en fonction de divers facteurs
géographiques, économiques et sociaux. Weinreich étudie et classifie ce contact, et en particulier, les interférences entre le « Schwyzertutsch »
(Suisse allemand) dans le Romansch, et les phénomènes d’emprunt.

Il en est aussi de cette façon au niveau
sémantique. En période d’innovation
comme celle de l’introduction de la toile - il y a maintenant déjà 20 ans
- ou aujourd’hui sous l’influence des medias mobiles telles que Facebook
ou Twitter, il n’y a pas de conception véhiculée par les interfaces de ces
nouveaux moyens de communication qui ne soit pas hybridée une fois lancée à l’échelle
planétaire. Dans un français le plus pur
on parlera toujours de Facebook (avec ou sans contamination des systèmes phonétiques...)
ou de Twitter et des tweetos du pape, par exemple ! Encore que le terme anglais
« tweet », devenu « tweetos » en français s’est en plus
intégré par le biais de la morphologie, puisqu’il se décline même à tous les
temps et tous les modes!!
Ce que je souhaite donc ajouter à la théorie
interprétative, c’est le contact
langagier. Les moments de la langue
d’arrivée « contaminée » par l’innovation et des changements profonds
– de société, de moyens de communication, et mode et vie etc… qui par la suite,
par voie diachronique, se « décontamineront »,
se sépareront peut-être ou retrouveront dans leur système langagier indépendant,
leurs propres moyens d’expression.
Par exemple, le terme
« email » a fait tout un
chemin avant de se stabiliser sous la forme nouvelle de « courriel ».
On a entendu « email » et « mail » pendant longtemps, et
ensuite « mél. » comme « tél. » à la suggestion du Journal
Officiel [JO 20-06-2003], mais seulement pour introduire une adresse « URL »
et pas en référence substantive, alors que la foule utilisait volontiers
« mèl » à valeur de substantif mais avec un accent dans l’autre sens …
Ce que je souhaite donc ajouter à la théorie interprétative
c’est un discours de départ en contact
avec d’autres langues et réalités, et à l’arrivée aussi, et ceci, sans que la
dé-verbalisation puisse y rémédier à un moment (diachronique) donné.
Au début de l’Internet par exemple, le JO
a publié les termes «brouter » et «butiner » pour signifier «surfer »….
Mais il semble qu’aucune dé-verbalisation n’a su changer la conceptualisation
du « surf », et que ce sont
bien les vagues et l’océan qui dominent l’imaginaire des Internautes à l’échelle
planétaire, et non les scènes pastorales …! En 2014, l’Internaute français
pourrait aussi suivre les recommandations du JO et parler «acquaplancher »…, mais apparemment, la foule en a décidé autrement.
Il y a encore de nombreux détails dans ce
supplément de la théorie interprétative, mais dans un billet technique on ne
peut pas en dire beaucoup plus!
En situation idéale, quand on traduit, on sépare les langues en contact, mais
parfois le contact est soit trop profond,
soit trop jeune.
J’y reviendrai surement et surtout en matière,
et à force, d’exemples tirés du langage médical.
Références
Chansu, M (1984) Calques et créations
linguistique. META. 29(3).
Delisle, J. (1998) Les anglicismes
insidieux. L’actualité terminologique, 30(3) 17.
Franceterme.fr - Un
site du Ministère de la Culture et de la Communication.
Lederer, M. (2014) Qu’est-ce qu’ interpréter selon la théorie
interprétative. EMCI- European
Masters in conference interpreting. Distance
Learning Modules.
1.
Lederer,
M. Théorie interprétative –
Ré-expression
2.
Lederer,
M. Théorie interprétative- Déverbalisation
3.
Lederer,
M. Théorie interprétative - Compréhension
- Rey, A. (2007) L'amour du français: Contre les puristes et autres censeurs de la langue. Paris, France: Editions Denël
Sénécal, A. (2001) La dérive anglicisante
du français technique, L’Actualité terminologique, 33(4) 18.
Weinreich,
U. (1967) Languages in contact: Findings and problems. With a preface by
André Martinet. London, UK: Mouton & Co.
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